Dato: August 1841
Fra: Nicolas Martin   Til: H.C. Andersen
Sprog: fransk.

Dans tes calmes forêts, sur tes brumeuses grèves
Rencontres-tu toujours l'essaim joyeux des Rèves,
Andersen, frais chasseur que des Elfes dansants
Entraînaient autrefois dans leurs choeurs inconstants
Comme un roi du Caprice et de la Fantaisie
Dès l'aube poursuivant la libre Poésie?
As-tu toujours ton Arc, ce souple esprit vainqueur
Dont les rapides traits s'enfonçaient dans le coeur?
Es-tu le même encor qu'au "Temps ou la Misère
Te nourrissait d'Espoir, comme une tendre mère"
Endormant ta douleur, trop lente à s'assoupir,
Au chant révélateur d'un brillant avenir?
La corde de ta Lyre est-elle hélas! brisée?
Ne vois-tu plus le ciel dans un pleur de rosée?
Les échos de tes bois sont-ils muets? les vents
Ne murmurent-ils plus dans tes roseaux mouvants? -
Non, tu chantes toujours, ô Poète! et sans doute,
Fier de son noble enfant, le Danemarck t'écoute.
Femmes et jeunes gens, avides de tes vers,
Les lisent pour tromper l'ennui de longs hivers;
Et même les vieillards que, Seul, le Passé charme,
Essuyant sur leur joue une furtive larme,
Sentent battre leurs coeurs comme au temps des amours
Quand ta Muse redit la Saga des vieux jours.

A Paris, Panthéon où toute gloire aspire,
Un bon vent a porté quelques sons de ta lyre,
Et ton nom s'est inscrit sur les tables d'airain
Parmi les plus beaux noms du chant contemporain.
Marmier d'un ton ému nous a conté l'histoire
De tes rudes efforts pour monter à la gloire;
Et moi, mon vers timide a mainte fois tenté
De traduire des tiens la naïve beauté.
Tu le vois, ton génie est l'hôte de la France;
Dis-lui donc aujourd'hui ta joie et ta souffrance,
Ainsi qu'un pélerin, au coin de l'âtre admis,
Laisse voir tout son coeur à ses nouveaux amis.
Tout ton coeur est rempli par la Muse immortelle,
Et nous parler de toi sera nous parler d'elle;
Je le sais et j'attends, avide du récit.
- Toi-même, curieux de ce que font ici
Tes frères les chanteurs, tu liras avec joie
Ce croquis ébauché que sur eux je t'envoie;
Car des moindres détails sur les objets aimés
- surtout sur l'Art divin - nos esprits sont charmés.

Lamartine, envolé du limon de la ville;
A regagné l'Azur de son beau lac tranquille,
Cygne qui se fait aigle hélas! - Mais dans ses bois
Retrouve la douceur de ses chants d'autrefois.
Cloîtré dans Port-Royal, Sainte-Beuve médite,
Et sans cesse la Muse y vient tenter l'ermite;
L'ermite de son mieux résiste et se défend,
Mais succombe parfois - qu'il succombe souvent!
de Vigny d'une main qui jamais ne se lasse
Aiguise et repoli t sa finesse et sa grace;
S'il tarde à dévoiler un chef-d'oeuvre nouveau,
C'est qu'il concentre en lui tous les rayons du Beau.
De Musset s'endort-il aux bras d'une maîtresse?
Qu'il craigne quelque tour de Muse vengeresse!
Mais je crois bien pl_tôt qu'à son fidèle amant
La Muse dicte encore un caprice charmant.
Hugo l'Académique apporte sur ses ailes
Au lieu de chants nouveaux, Editions nouvelles;
J'oubliais que le Barde a lu, ces derniers jours,
De Politique vague un rayonnant discours ...

Des généraux guidant la poétique armée
L'aventureuse ardeur est, tu le vois, calmée.
Sous leurs tentes rêvant l'occasion d'éclat,
Ils dédaignent par trop le vulgaire combat,
Tandis que, profitant de ce mépris superbe,
Dans les champs glorieux d'autres glanent leur gerbe;
Car des milliers de bras levés de toutes parts
S'efforcent de ravir les sacrés étendarts.

J'arrête cette épître à l'essor trop lyrique
Que pour:rait égarer un récit Pyndarique;
Elle s'élève à l'Ode, et l'Ode me fait peur;
Le vertige me gagne à la moindre hauteur.
J'aime mieux les vallons, les simples Causeries,
Que les pics orgueilleux, les hautes Rêveries;
J'aime mieux, comme toi, doux Poète amoureux,
Et l'humble violette, et le chaume fumeux,
Et la neige sans bruit tombant dans les vallées,
Et les vieillards au seuil des fermes isolées;
Et ces aspects si doux me sont encor plus chers
Lorsque je les contemple au prisme de tes vers.
(Faubourg Poissonière No 106).

N. Martin

Violette de Mars (Imité d'Andersen.)

Le ciel s'est arrondi plus bleu sur les hauteurs,
Et la gelée a peint sur les carreaux des fleurs.

Une surtout là-haut sur la vitre étincelle.
Un jeune homme est en bas, les yeux fixés sur elle.

Et, derrière les fleurs de ces carreaux brillants,
Brillent bien plus encor deux beaux yeux souriants:

Violette jamais n'a souri plus sereine! -
- Mais la vitre déjà se fond sous une haleine.

La fleur a disparu, mais non les deux beaux yeux:
- Amour, oh! sois propice au jeune homme amoureux!

Le Soldat (d'Andersen)

"Que ces tambours voilés résonnent tristement!
Que cette borne est loin! que cette marche est lente!
Il semble que mon coeur se brise à tout moment:
Ah! quelle heure cruelle et quelle horrible attente!

"Dans ce monde désert je n'aimais que lui seul,
Lui seul que maintenant l'affreuse mort désigne.
- Puis viendra la parade autour de son linceul,
Et j'y devrai passer muet sous la consigne!

"Pour la derniere fois vers tes rayons joyeux
Il lève, 0 doux soleil! son humide prunelle
-Hélas! et puis voilà qu'ils lui bandent les yeux:
Ah! que Dieu te reçoive en sa paix éternelle!

"Neuf fusils ont vomi leur foudre destructeur;
Huit balles ont sifflé plus loin que la victime:
Huit mains auront tremblé craignant peut-être un crime
- Mais moi, mon plomb d'ami l'a frappé droit au coeur.&

Tekst fra: Se tilknyttet bibliografipost